23.
45 000 ans avant Jésus-Christ.
Quelque part en Afrique de l’Est, dans une région qui correspond à l’Éthiopie.
La pluie tombait dru.
La horde était composée d’hommes qu’on appellera plus tard « Cro-Magnon ». Ils aperçurent une caverne. Ils voulurent s’y abriter.
Mais les premiers à entrer se firent aussitôt dévorer par une famille de lions paranoïaques.
Les autres hésitèrent.
Le ciel leur apporta la solution en enflammant une branche toute proche.
Un des Cro-Magnon s’en saisit.
Grâce au feu ils parvinrent à déloger la famille de lions pourtant récalcitrants en ne perdant que deux autres des leurs.
À peine installée dans la caverne, la tribu réunit des feuilles sèches et des branches mortes pour entretenir un grand feu protecteur. Tous s’installèrent autour du foyer et bénéficièrent de sa lumière et de sa chaleur.
À ce moment, un groupe de silhouettes humanoïdes apparut à l’entrée de la caverne.
Ces nouveaux venus étaient presque semblables à eux mais pas exactement.
Ils étaient un peu plus petits, plus trapus, ils avaient le front plus large et plus étroit, les arcades sourcilières plus proéminentes, les peaux de bêtes dont ils étaient vêtus avaient plus de coutures.
Les Cro-Magnon ne le savaient pas, mais les visiteurs qui venaient d’apparaître seraient un jour baptisés : « hommes de Neandertal ».
Alors que la pluie redoublait, les deux tribus, les Cro-Magnon et les Neandertal, se jaugeaient mutuellement. Ils étaient trop épuisés pour se chercher querelle.
« C’est déjà assez dur de subir les caprices de mère Nature, il ne manquerait plus qu’on y ajoute la violence entre congénères », songeaient la plupart d’entre eux.
Les arrivants furent donc autorisés à s’installer eux aussi autour du feu revigorant.
Ils se blottirent par familles. Pour se donner une contenance, ils se grattèrent et se cherchèrent les poux.
Alors que les éclairs illuminaient la caverne par intermittence, les mères serraient les plus jeunes enfants contre elles pour les rassurer.
Un Cro-Magnon plus curieux que les autres se leva, s’avança vers la tribu étrangère et grogna quelque chose qui signifiait :
— La météo n’est pas terrible aujourd’hui, ne trouvez-vous pas ?
Ce à quoi l’un des hommes de Neandertal répondit par un autre grognement qu’on pourrait traduire par :
— Qu’est-ce que vous dites ?
Un début de dialogue s’instaura alors.
— Vous pouvez répéter s’il vous plaît ? Je ne comprends pas ce que vous dites.
Grimaces de son vis-à-vis qui se mit à dodeliner de la tête.
— Je ne sais toujours pas ce que vous me racontez mais pour ma part je note que nous n’arriverons pas à nous comprendre car nous ne parlons pas du tout la même langue.
Alors un autre homme de Cro-Magnon s’approcha et demanda :
— Qu’est-ce qu’il te raconte celui-là ?
— Je ne sais pas mais, pour ma part, je lui signalais que l’on risquait d’avoir des difficultés à communiquer, de toute évidence nous nous exprimons dans des langues différentes.
Finalement, agacé, le Neandertal se leva, ramassa un morceau de bois calciné et se mit à dessiner sur la paroi de la caverne un éclair symbolisé par un trait en zigzag.
Ce à quoi le Cro-Magnon, après avoir incliné la tête pour décrypter le message, répondit en ramassant à son tour un bout de charbon et en dessinant à côté du zigzag un homme debout, la bouche ouverte en signe d’étonnement.
Il voulait dire : « Je ne comprends rien. »
Satisfait d’avoir créé un début de dialogue par l’image, plus efficace que le borborygme, le Neandertal dessina un rond au-dessus du zigzag. Un gros nuage rond, d’où sortait l’éclair.
L’homme de Cro-Magnon se demanda si l’autre ne faisait pas allusion à un fruit avec sa tige. Il lui fit un signe désignant sa bouche, ce qui signifiait pour lui : « Vous avez bien dessiné de la nourriture n’est-ce pas, vous avez faim ? »
Comme l’autre semblait dubitatif, le Cro-Magnon dessina alors un homme plus grand qui ouvrait la bouche pour manger le fruit.
À chaque échange, ceux de la tribu commentaient et approuvaient.
Finalement, énervé de ne pas être compris, le Neandertal sortit de la grotte et d’un doigt tendu bien haut désigna le nuage sombre.
À cet instant, la foudre fusa en zigzag du nuage et frappa le doigt mouillé transformé en paratonnerre. L’hominien s’écroula pour le compte.
L’événement fut tellement inattendu qu’il créa une réaction de total hébétement dans la tribu de Neandertal.
Cro-Magnon, lui, fut visité par une idée : « Ah ! en fait ce n’était pas un fruit dont il parlait mais du nuage d’orage !… »
Le constat de sa confusion lui causa alors un effet bizarre. Il sentit une tension chatouiller son ventre et il éclata de rire.
L’effet fut aussitôt communicatif.
Tous les Cro-Magnon se mirent à pouffer, alors que ceux de Neandertal, encore sous le choc de la perte du plus disert d’entre eux, décidèrent de ne pas le manger, de ne pas l’abandonner non plus, mais de l’enterrer au fond de la caverne.
Là encore, grâce à l’humour, l’humanité venait de franchir un cap important de son évolution. Désormais les Néandertaliens enterrèrent leurs morts, et les Cro-Magnon se mirent à tracer des formes sur les parois des cavernes. On y voyait souvent un rond d’où sortait un zigzag, l’homme à la bouche ouverte n’était plus placé à côté mais au-dessous. Comme l’exigeait la vérité.
Et chaque fois qu’un Cro-Magnon dessinait le nuage rond, l’éclair en zigzag et l’homme debout bouche ouverte, sa tribu s’esclaffait.
Le Cro-Magnon venait d’inventer le gag graphique. Et la bulle de la future bande dessinée.
On considère que l’Homo sapiens se transforma précisément à cette époque en Homo sapiens sapiens, c’est-à-dire en homme moderne.
Quant aux Néandertaliens, n’ayant pas découvert l’humour au deuxième degré, ils disparurent.
Grand Livre d’Histoire de l’Humour. Source GLH.